vendredi 25 mars 2011

Quoi de neuf 3 : compte rendu

Hier au soir, lorsque j'arrivai à l'amicale, le film était déjà commencé (heureusement pour moi, je l'avais déjà vu quelques semaines auparavant). Public silencieux, attentif, dans la pénombre. Assis sur les chaises bleues en plastique, devant l'écran de la télévision où je vis, en entrant, Pierre-Paul Muzy et Dominique Parizot, chanter.

Donc, le documentaire "Poussière d'août", d'André Mariaggi, raconte l'histoire d'un couple qui s'aime et qui aime le chant, et qui aime se le dire en chantant.

Les deux "personnages" du film étaient présents ce soir-là et c'est avec grand plaisir qu'ils se sont prêtés à la petite discussion qui a lieu après le visionnage d'un film à l'amicale.

Je résume ici rapidement plusieurs points qui ont été évoqués et qui me semblent importants :

* la question de l'intime. Il est apparu à certains que le documentaire faisait dire des choses trop intimes aux personnes interrogées, que cela ne correspondait pas forcément à la pratique usuelle qui veut que les affaires de famille ne s'évoquent pas publiquement. En même temps, la trajectoire de ce couple, à la recherche d'une acceptation par la famille de Pierre-Paul, peut apparaître comme exemplaire d'une difficulté universelle à renouer les liens distendus. (Combien d'insulaires partis de l'île et ne conservant avec celle-ci que des relations très tendues, conflictuelles, amères ? N'est-ce pas toute une partie réelle de la vie avec la Corse, et ce depuis très longtemps ? N'est-il pas d'un extrême intérêt de raconter cela aussi ?)

* la question de l'imprévu. Pierre-Paul et Dominique ont vécu plusieurs semaines dans l'île avec les trois personnes de l'équipe qui les filmait et interrogeait. Ce ne fut pas simple, et ce fut un voyage extrêmement riche. Des 47 heures de rushes, André a tiré un documentaire de 52 minutes qui a surpris les premiers concernés. Non que le film ne soit pas juste, mais tout simplement il a mis l'accent sur une histoire d'amour alors qu'il était d'abord question de suivre un tour de chant original (Petru Memoria et Dumè dans leur camping car, sillonnant l'île d'église en place de marché). Et aussi parce qu'André Mariaggi a choisi de filmer ce couple dans une île débarrassée des clichés attendus (la beauté des paysages par exemple), à hauteur d'homme, avec les bas côtés des routes, les ombres sous la tente, les clients indifférents du marché, les regards furtifs. Et enfin parce qu'en écho à cette histoire d'amour et de retour (et de nouvelle vie désirée et patiemment vécue, construite au jour le jour), le cinéaste évoque ponctuellement sa propre relation à l'île, tout à fait différente : "je n'y ai pas ma place", "je ne suis pas très famille", "je n'ai pas connu la vie du village, nous étions cloîtrés dans des maisons austères", "moi, un Corse, sans maison et sans terre, dormant dans un camping !"... C'est le principe et le charme des documentaires que de nous donner un accès neuf et vif à la réalité car ils sont disponibles aux imprévus, à ce qui se produira sans qu'on l'attende. A ce titre, "Poussière d'août" est exemplaire de la puissance que peut atteindre le documentaire.

* la question de la liberté et du courage. Liberté du rouge-gorge évoquée par Monsieur Grisoni à Ajaccio, courage et désir de liberté des Corses dans leur endurcissement aux travaux du village ou dans les combats (Ponte Novu) évoqués par Lucette à Osani, liberté et courage de Pierre-Paul et Dominique de ne pas craindre de prendre les apparences du touriste (camping car et flânerie) afin de mieux reconstituer la famille (Ulysse lui-même fut le mendiant en quête de royauté retrouvée). Courage car l'on sent bien que les choses ne sont pas gagnées, même pendant ou après le repas de famille et que, comme le dit, Pierre-Paul, "a strada continueghja". Et puis liberté et courage de Dominique qui écrit un poème en langue corse, qui n'est pas sa langue maternelle (elle est bretonne), un poème pour son amoureux, qu'elle dit avec son accent (plaisir d'entendre ainsi une langue vivante, adoptée, pratiquée, réellement). Le poème s'appelle "Polvara d'aostu" et donne son titre au film (en français cette fois).

Pour conclure, je trouve frappant que le documentaire parvienne à nous entretenir 52 minutes durant d'amour et de sentiments sans tomber dans le pathos et le sentimentalisme (qui par moments tout de même risquent fort de se répandre sur l'écran, je trouve, personnellement, mais le risque est évité me semble-t-il par des astuces de "mise en scène", longueur d'un plan ou au contraire brièveté, voix off, voix décalées par rapport à l'image, plans apparemment anodins, et puis, selon moi, une citation involontaire d'Apocalypse now - vous vous souvenez, c'est la première rencontre entre Marlon Brando (Kurtz) et Martin Sheen (Willard), Willard à genoux de côté voit la forte silhouette de Kurtz se redresser sur son lit pour s'asseoir, et passer sa main sur son crâne rasé, plusieurs fois, vous vous souvenez ? - eh bien, nous (Willard) voyons la forte silhouette d'André (Kurtz) en ombre chinoise sous la tente, passer plusieurs fois sa main sur son crâne rasé... et se questionner sur sa présence incongrue sous une telle tente !... Car le film ne manque pas d'humour, non plus, d'un humour qui se mêle à la tendresse et aux sentiments doux-amers.

Peut-être voulez-vous donner votre opinion ?

2 commentaires:

  1. En tous cas cela donne envie de voir le film dont j'espère qu'il sera distribué de manière pas trop confidentielle! En Corse en été par exemple...
    Micaëla Etcheverry

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  2. Mme Etcheverry,
    merci pour le commentaire.
    Ce documentaire est passé plusieurs fois sur Via Stella (France 3 Corse numérique). Je crois que le cinéaste l'a envoyé à divers festivals en espérant une programmation. Je ne sais pas ce qui est prévu en Corse. Il me semble qu'il y a de plus en plus de festivals où l'on présente des documentaires (Corsicadoc à Ajaccio je crois, le festival du film rural de Lama pourrait aussi l'accueillir, vu le thème...)
    Je vais demander à l'auteur.

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